Galilée
Messe de rentrée à St-Porchaire
13 octobre 2011


Photos de la messe de rentrée

Homélie de Mgr Pascal Wintzer
(église St-Porchaire de Poitiers)

   Luc 11, 47-54

Avec vous, je reçois les textes de la liturgie de ce jour. Vous vous doutez bien qu'ils n'ont pas été choisis pour cette messe de rentrée, ni comme programme pour votre année d'études ou de travail. Dans ces textes bibliques, des mots nous frappent, nous choquent peut-être. Or, face à ce qui nous dérange, y compris dans la prédication du Seigneur, il y a différentes manières de nous protéger. On peut d'abord estimer que ce qui est dit ne nous concerne pas. Ce sont "les autres" qui sont dénoncés et condamnés. Les pharisiens, ce n'est pas nous, ce n'est pas moi. On peut aussi estimer que des textes bibliques reflètent une manière de penser, et même de croire, désormais caduque, périmée. En effet, qui ose encore parler du péché ?

Plus profondément, qu'est-ce qui peut nous gêner dans certains textes de la Bible ? Dans ceux de ce soir peut être ? Ceci étant entendu que nos réactions ne sont jamais identiques ; chacun de nous a "sa Bible dans la Bible", a ses préférences pour tel ou tel passage de l'Ecriture, alors que d'autres, non pas qu'ils sont rejetés, mais tout simplement oubliés. Bref, qu'est-ce qui peut gêner, non pas tous, mais certains d'entre nous, dans les textes de notre célébration ? La culpabilité ? La dénonciation ?

Saint Paul emploie trois mots : le péché, la justice et la grâce. De tels mots ne sont-ils pas bien abstraits, trop abstraits ? Ou bien réservés aux seuls théologiens ? Vous êtes étudiants, quelques-uns commencent aussi leur vie professionnelle. Dans chacun des domaines que vous étudiez, vous rencontrez des choses difficiles et complexes. Comment les affrontez-vous ? On peut contourner l'obstacle. Mais c'est une technique à courte vue ; l'obstacle saura bien se représenter, un peu plus tard, devant nous ; le contourner n'aura servi à rien. Il y a bien des années, un professeur de langues anciennes disait à ses élèves : "il n'y a pas de moyen facile de faire des choses difficiles". Je crois que ce principe demeure, et pas seulement dans l'apprentissage des langues. Alors, plutôt que de contourner l'obstacle, il est plus noble, et finalement plus fructueux, d'affronter l'obstacle. Et quand il a été franchi, quelle fierté, quelle joie. Alors, arrêtons-nous à ces mots qu'emploie l'apôtre Paul.

D'abord, il y a le péché. Remarquez que le mot est employé au singulier. Il désigne donc un état et non pas des actes. Son emploi est différent de celui qui en est fait dans l'Evangile ; là, le pluriel vise les fautes, les péchés, commis par les pharisiens. Le péché dont parle Paul, ce n'est pas une faute morale, c'est une situation existentielle. Le péché, c'est ce qui dit la faiblesse qui marque chacun d'entre nous. Quelle libération de savoir cela ! Une libération par rapport à l'impératif d'excellence qui pose de plus en plus sur nos épaules. Il faut, tu dois, être le meilleur, la meilleure ; et il faut l'être en tout. Or, nous avons le droit de ne pas être tout-puissant, sans pour autant être impuissant, mais simplement, en capacité d'agir, au mieux, dans tel ou tel domaine. Oui, il y a en chacun de nous des faiblesses dont nous n'avons pas à nous accuser, mais qui sont tout simplement l'expression de notre humanité. Reconnaître simplement cela, nous libère de la culpabilité, et aussi de la tyrannie de l'excellence.

Pour désigner cela, cette situation, cet état, vous savez que saint Augustin parlera de "péché originel". Tous, nous sommes donc marqués par cette faiblesse constitutive ; elle n'est pas une faute ; en tout cas ce n'est pas nous qui en sommes l'auteur. Aucun de nous n'est la source du mal, il n'en est que le complice. Dire cela, ce n'est pas nous innocenter à bon compte, mais c'est nous mettre en capacité d'agir. Si je suis la source du mal, que faire ? Mais complice, je sais alors que le mal est loin d'être le tout de ma vie. Je suis alors capable de le reconnaître, de l'identifier, plutôt que de me voiler la face. Oui, d'abord capable du bien, capable de Dieu, chacun est pourtant capable du mal.

C'est là où Paul fait intervenir la deuxième notion essentielle de son texte : la justice. Si tous nous sommes pécheurs, nul ne peut devenir juste par lui-même, par sa force d'âme, par son caractère, par sa volonté. Cela nous est donné, à tous, et donné par Dieu. D'où la nécessité absolue de la grâce dont Paul parle ensuite ; la grâce, c'est-à-dire le don gratuit de Dieu, le don de son amour. Et cela aussi, c'est ce qui définit ce qu'est la justice de Dieu. Pour Dieu, rendre la justice, ce n'est pas peser les péchés, mais c'est sauver. C'est ainsi que saint Thomas d'Aquin pourra affirmer, dans un écho magnifique à ce que dit saint Paul dans la lettre aux Romains, "la justice de Dieu, c'est sa miséricorde". Autrement dit, Dieu rend justice, Dieu fait justice, en pardonnant.

Tout ceci nous interroge alors sur nous-même, nous renvoie à nous-même. D'abord cela nous montre que nous n'avons pas à craindre la culpabilité. Bien sûr que nous commettons des fautes, moi le premier. S'en sentir coupable n'est pas une névrose dont il faudrait absolument se préserver. C'est plutôt ce qui nous instruit des lieux où nous devons vivre des conversions et des progrès. Mais ne rêvons pas à une sorte d'état virginal ; c'est cela qui serait un leurre, une illusion.

Ensuite, comme nous le montre le Seigneur pour nousmême, ne disqualifions pas le pardon. Il n'est jamais une faiblesse, une démission devant le mal. Au contraire, le pardon est la force qui vient retirer au mal le masque de toute-puissance dont il se revêt. Recevez les pardon, dans le sacrement du pardon en particulier, et pardonnez à votre tour ; cela vous rendra plus libres, plus forts.

Et enfin, vivez de la grâce, vivez du don, vivez de la gratuité. Vous savez que c'est un des appels les plus originaux de Benoît XVI dans l'encyclique Caritas in veritate (34-38). Je termine en citant quelques lignes de ce texte ; j'incite ceux d'entre vous qui travaillez ou étudiez dans les domaines économiques à entendre cet appel, à le travailler. "Si le développement économique, social et politique veut être authentiquement humain, il doit prendre en considération le principe de gratuité comme expression de fraternité […]. Dans les relations marchandes le principe de gratuité et la logique du don, comme expression de la fraternité, peuvent et doivent trouver leur place à l'intérieur de l'activité économique normale […]. Sans la gratuité on ne parvient même pas à réaliser la justice."

C'est le coeur de notre foi, Dieu nous aime absolument gratuitement ; croyez que c'est la clef de notre vie et de notre bonheur.